La part de l'autre - Eric-Emmanuel Schmitt
Qui serait devenu Adolph Hitler s'il avait été accepté à l'école des beaux-arts de Vienne ? Un homme fondamentalement différent. Du moins, c'est la théorie qu'Eric-Emmanuel Schmitt développe dans son roman.
On peut se demander ce que cherche Eric-Emmanuel Schmitt. Après avoir revisité l'évangile et l'histoire de Ponce Pilate, le voilà qui s'attaque à une figure indéfendable de l'Histoire du vingtième siècle. Mais Hitler est-il si indéfendable ? Et si l'homme qu'il est devenu existait en chacun de nous ? C'est finalement, la théorie de cet écrivain philosophe. Et aussi étrange et déstabilisant que puisse être cette uchronique, on ne peut en ressortir indemne.
Déstabilisante, elle l'est déjà de part sa narration. En commençant La part de l'autre, je pensais n'avoir à faire qu'au Hitler de fiction. Mais non : on découvre en parallèle celui qui est devenu le tyran que nous connaissons tous, et celui qu'aurait pu devenir ce jeune étudiant se présentant à l'école des beaux-arts de Vienne. Il faut donc au départ bien situer qui est qui et qui va devenir qui. Une petite subtilité, cependant, utilisée par l'auteur : le "gentil" sera appelé par son prénom et le "méchant" par son nom, brut, sans "monsieur" devant, sans aucun prénom, sans aucun titre militaire. Juste "Hitler".
Ce roman est aussi très déstabilisant car il est extrêmement documenté. On est à la limite de la biographie du fürher. Eric-Emmanuel Schmitt semble s'être beaucoup renseigné pour coller au plus près de la personnalité et des événements marquant de la vie d'Hitler. Parallèlement, il réinvente l'Histoire du vingtième siècle, partant du postulat que le règne d'Hitler, s'il n'a pas complètement changé le cours de l'Histoire, a quand même entraîné d'énormes modifications (seconde guerre mondiale, création de l'Etat d'Israël...). Dans l'uchronie, une guerre éclate, mais pas dans le même cadre, ni avec les mêmes conséquences. De même, la communauté juive rêve d'un Etat israélien, mais rien n'aboutit... Cependant, n'allez pas croire qu'EES réinvente totalement l'Histoire ! Non, il éclate bien une guerre dans les années quarante et le communisme "menace" l'occident !
En revanche, cette partie fictive m'a presque plus déstabilisée que l'histoire véritable du Fürher... Peut-être par l'aspect manichéen de la théorie de l'auteur... Oui, j'avoue, je n'arrive pas à croire qu'un homme puisse être si différent... Peut-on vraiment avoir d'un côté un dictateur mégalo, imbu de lui même, amoureux d'une nation, prêt à tout pour la défendre, se considérant le sauveur de son peuple, prêt à faire la guerre pour libérer son peuple du joug sioniste, et de l'autre un peintre peu sûr de lui, épousant une jeune femme juive, plutôt pacifiste, cherchant simplement à être heureux et à rendre les autres heureux ?... Et une simple réponse administrative à un concours peut-elle provoquer tant de changements ?...
En tout cas, ce livre ne peut laisser indifférent car il nous renvoie au fait qu'en chacun de nous, en tout homme, sommeille le meilleur et le pire... Et je souhaiterai terminer cette note par une citation qui me semble bien résumer les deux personnages de ce livre :
"N'arrête pas de douter, c'est ce qui fait ce que tu es. Un homme fréquentable. Cela te donne un sentiment d'insécurité, certes, mais cette insécurité, c'est ta respiration, ta vie, c'est ton humanité. Si tu ne voulais pas en finir avec cet inconfort, tu deviendrais un fanatique. Fanatique d'une cause ! Ou pire : fanatique de toi-même !"
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Texte © Miss Alfie 2009.
Edition lue : La part de l'autre, Eric-Emmanuel Schmidt, éditions Le Livre de poche, collection Littérature & Documents, 2003; 503 pages.