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Miss Alfie, croqueuse de livres... & Compagnie !
8 avril 2019

Moi, Tituba sorcière noire de Salem - Maryse Condé

Moi titubaExtrait de la quatrième de couverture : Fille de l'esclave Abena violée par un marin anglais à bord d'un vaisseau négrier, Tituba, née à la Barbade, est initiée aux pouvoirs surnaturels par Man Yaya, guérisseuse et faiseuse de sorts. Son mariage avec John Indien l'entraîne à Boston, puis au village de Salem au service du pasteur Parris.

Depuis quelques semaines, je me suis mise à écouter un podcast créé par Lauren Bastide, "La poudre". Dans cette émission, l'intervieweuse reçoit une femme avec qui elle parle de son parcours, de sa vie, et indirectement de féminisme. Récemment, elle a monté une émission autour de l'ouvrage de Maryse Condé dont je vous parle aujourd'hui dans le cadre d'une série de trois épisodes sur les sorcières, série inaugurée par une rencontre avec Mona Chollet. Et comme Laurent Bastide mettait en garde sur les spoilers dès le début de cet épisode consacré à la seule femme noire condamnée pour sorcellerie à Salem en 1692, je me suis empressée de me plonger dans ce roman pour pouvoir écouter l'émission.

Dans cette histoire, Maryse Condé, grande autrice antillaise, prix Nobel de littérature alternatif en 2018, s'immisce dans les blancs de l'histoire pour raconter le destin d'une femme esclave au 17e siècle, qui va se retrouver dans une posture d'esclave à cause de l'amour d'un homme : jusqu'à ce que John Indien ne vienne lui déclarer sa flamme et ne l'épouse, Tituba vit tranquillement à l'écart du monde, dans une case, en causant avec ses "Invisibles", tous ses proches qui ont quitté la vie terrestre mais restent à ses côtés et la guident dans la vie.

Mais en nouant sa vie à celle de cet homme qui va se révéler bien peu courageux par la suite, Tituba entre au service d'une femme qui la revendra à un pasteur américain. Pour Tituba, c'est un choc de culture et de civilisation qu'elle va devoir affronter en quittant le monde créole et ses croyances pour découvrir l'Amérique ultra puritaine des colons : les cheveux doivent être cachés, on fait l'amour avec ses vêtements, la foi chrétienne est la seule qui puisse exister, et toute personne qui ne rentre pas dans ce cadre est forcément possédée par le Démon...

Au fil des pages, Maryse Condé prend la voix de Tituba pour relater cette vie de privation, de frustration mais aussi de pouvoir. Car Tituba est une sachante et avant tout une femme libre. Tituba sait soigner les maux du quotidien avec ce qui existe dans la nature. Elle croit à des forces supérieures différentes de celles de ces puritains, et pour toutes ces raisons, Tituba fascine et envoûte, Tituba est forcément une sorcière, Tituba doit mourir. Et si l'histoire de Tituba est marquée par le procès de Salem en 1692, là n'est pas l'enjeu du livre : on passe très vite sur ce qui va s'y dire et s'y nouer. L'important, l'essentiel de cette histoire est de démontrer comment les fantasmes ont pu se créer autour d'une femme qui avait du mal à concilier sa culture d'origine, ses croyances, avec l'injonction du puritanisme américain.

Si on peut relever certains anachronismes dans le récit de Maryse Condé, comme certains propos tenus par Hester, cette femme dont Tituba croise la route en prison, c'est avant tout l'histoire d'une femme puissante dans un monde tenu de main de maître par les hommes qui nous est racontée, l'histoire d'une femme qui s'oppose, qui sait, et qui en devient dangereuse. Si elle réussit, elle est coupable, si elle échoue, elle l'est également. Il n'y a pas d'autre destin pour Tituba que celui d'être pointée du doigt et soumise au bon vouloir de ceux qui se pensent plus puissants.

"Pour une esclave, la maternité n'est pas un bonheur. Elle revient à expulser dans un monde de servitude et d'abjection un petit innocent dont il lui sera impossible de changer la destinée." (p. 57/207 - version numérique)
" C'était cela Salem ! Une communauté où l'on pillait, trichait, volait en se drapant derrière le manteau du nom de Dieu." (p. 96/207 - version numérique)
"La vie ne serait un don que si chacun d'entre nous pouvait choisir le ventre qui le porterait." (p. 133/207 - version numérique)

Texte © Miss Alfie 2019.
Couverture : Moi, Tituba sorcière noire de Salem, Maryse Condé, éditions Folio, 1988, 288 pages.

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Commentaires
L
J'ai tellement adoré ce livre... Je voulais écrire un article dessus mais je ne savais pas comment en parler, tellement il m'a pris aux tripes! <br /> <br /> <br /> <br /> Bonne continuation à toi, <br /> <br /> <br /> <br /> Ludivine
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L
Cette Hester que Tituba rencontre en prison, c'est Hester Prynne, l'héroïne du roman de Nathaniel Hawthorne. Donc un personnage fictif, mais la référence faite par Maryse Condé est brillante ! Et si tu n'as pas lu le roman de Hawthorne, je te le conseille : il offre un autre portrait de sorcière, au sens de la femme mise à l'écart et qui fait peur.<br /> <br /> <br /> <br /> Et sinon, prix Nebel, hihihi...
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