Toute la lumière que nous ne pouvons voir - Anthony Doerr
Marie-Laure est devenue aveugle à l'âge de six ans. Elle vit avec son père, serrurier au musée d'histoire naturelle de Paris. En 1940, ils doivent fuir Paris, avec un bagage un peu particulier. Werner est orphelin. Petit génie de la radio, il a l'opportunité d'entrer dans l'une des école d'élite du Reich. Il intègre bientôt l'armée pour tenter d'intercepter les transmissions des résistants. D'un bout à l'autre de la zone de conflit, leurs destins finiront par se croiser à l'ombre des remparts de Saint-Malo...
Attention, coup de coeur ! Oui, je n'y vais pas par quatre chemins : coup de coeur pour ce roman primé aux Etats-Unis (le Pulitzer, ce n'est pas rien quand même) qui m'a permis de découvrir une face de l'histoire de Saint-Malo que je ne connaissais pas malgré les innombrables heures et journées que j'ai pu passer dans cette ville ! Je reconnais toutefois que si j'ai autant aimé ce livre, c'est qu'il parle d'une ville dont j'ai de multiples fois arpenté les rues... Mais un Américain qui vient raconter l'histoire du bombardement de Saint-Malo, ça donne quoi ?
Pour commencer, ça donne des chapitre très courts, parfois une demi-page, maximum quatre ou cinq, au cours desquels le lecteur suit alternativement Marie-Laure et Werner. Ainsi qu'un troisième personnage, quasiment anecdotique, mais au rôle essentiel puisqu'il cherche la trace du "bagage un peu particulier" que transportera le père de Maire-Laure. Qu'est-ce donc ? Je vous laisserai le découvrir, l'objet ayant un intérêt à la fois réel et limité. Réel, car il crée une intensité dramatique au fil de l'histoire, limité car c'est avant tout l'histoire croisée de Marie-Laure et Werner que le lecteur découvre. Ainsi que déjà dit, les chapitres sont très courts, ne laissant guère le temps au lecteur de s'attacher à l'un ou à l'autre des personnages. Entre la Française et l'Allemand, le coeur ne bascule pas : ils passent devant nos yeux, fuient quand on pense les avoir rencontré... Et au final... Au final, aucun attachement prépondérant à l'un ou à l'autre. Les deux deviennent des parts entières de l'histoires, des personnages auxquels on finit par s'attacher, et sacrément.
Car Toute la lumière que nous ne pouvons voir est rempli d'humanité, de paradoxes et d'ambiguité. Le lecteur y suit Werner, enfant qui va être embrigadé, qui va subir, comme l'ensemble de ses compatriotes de l'époque, le lavage de cerveau à la Hitler, mais qui fera émerger une pensée parfois distincte, encore marquée par la conscience, peut-être grâce à Jutta, sa petite soeur avec laquelle il écoutait un monsieur français parler de sciences à la radio dans son enfance. Face à lui, Marie-Laure, jeune fille aveugle, qui réussit à se débrouiller grâce à son entourage, de son père, sorte d'inventeur fou de serrures, à Etienne, le grand-oncle traumatisé par la guerre qui ne sait si les actions entreprises par sa gouvernante sont vraiment pertinentes... Jusqu'au jour où il ressortira son vieux poste de radio...
Je n'en dirai pas plus, même si j'ai bien peur d'en avoir déjà trop dit. Avec des allers et retour dans le temps et entre les personnages récurrents, rapides mais construit, Anthony Doerr raconte l'histoire d'un monde en mouvement, d'un monde qui se voulait séparé entre le bien et le mal, mais au coeur duquel le manichéisme est beaucoup plus compliqué à deviner. Dévoré en moins de deux jours, ce roman américain met en lumière une époque déjà largement racontée dans la littérature, mais avec des thématiques, des personnages et des villes qui offre à l'ensemble une originalité réelle.
De chaleureux remerciement aux éditions Albin Michel grâce à qui j'ai encore une fois passé un fantastique moment !
Texte © Miss Alfie 2015.
Édition présentée : Toute la lumière que nous ne pouvons voir, Anthony Doerr, traduit de l'anglais (américain) par Valérie Malfoy, Éditions Albin Michel, collection Les Grandes traductions, 2015, 624 pages.