La Recluse de Wildfell Hall - Anne Brontë
Qui est donc cette jeune femme qui vient d'emménager à Wildfell Hall ? Elle serait veuve et ne vivrait qu'avec son fils et une domestique... Les questions vont bon train chez les Markham et leurs voisins... Discrète, la jeune veuve finit peu à peu par accepter l'amitié de Gilbert Markham. Mais les rumeurs vont bon train, et sa relation avec le propriétaire des lieux, Mr. Lawrence, ne fait que les alimenter.
Il est de bon ton de considérer Jane Eyre et Les hauts de Hurle-vent comme les deux chefs d'oeuvre de la fratrie Brontë. Si on se souvient tous des prénoms des deux soeurs auteurs des titres évoqués (Charlotte et Emily pour les étourdis), on oublie souvent celui de la troisième, Anne, auteure de Agnes Grey et, donc, de La recluse de Wilfell Hall.
Tandis que je lisais ce roman, j'ai réécouté une émission de France Culture présentant les quatre enfants Brontë. L'invité évoquait ce titre en relevant comme principal défaut sa forme narrative. Sur ce point, je le rejoins. Anne Brontë mêle la correspondance de Gilbert Graham et le journal intime de Mrs Graham. Si ce genre de procédé n'est pas nouveau, il m'a semblé hésitant, peu maîtrisé, autant de faiblesses qui donne une sensation d'inabouti au final sur la forme.
En revanche, sur le fond, ce roman est considéré comme l'un des premiers romans féministes, et là encore, je suis d'accord ! Anne Brontë met en scène une femme contrainte par son éducation, par sa religion, par son époque ; une femme cantonnée à une place de soumission et d'allégeance complète à son époux.
"Il n'est pas non plus un mauvais mari ; mais ses notions de devoir et de bonheur conjugal sont opposées aux miennes. Si l'on en juge par l'apparence, son idée est que la femme est faite pour aimer l'homme avec dévotion et pour rester à la maison. Elle doit attendre son mari, l'amuser, pourvoir à son confort de toutes les façons possibles, tant qu'il lui plaît de rester avec elle. Quand il est absent, elle doit veiller à ses intérêts domestiques et autres, et patienter jusqu'à son retour. Peu importe ce qu'il fait pendant ce temps." (p. 279)
Or, on se rend peu à peu compte que ce cadre ne lui convient pas, qu'elle imagine une vision du couple beaucoup plus respectueuse et égalitaire. Peu à peu, la jeune femme discrète et dévote devient une femme qui veut briser les liens auxquels la société l'enchaîne, mais tout en douceur, tout en se préservant, car elle a une conscience aiguë de l'opprobe qui pourrait retomber sur elle. Ce poids des convenances s'exprime notamment par de nombreuses références et citations de la bible, qui ne sont d'ailleurs pas sans rappeler que le Mr. Brontë père était lui-même pasteur.
Roman d'amour et d'émancipation, La recluse de Wilfell Hall fait le portrait d'une société dans laquelle la place des femmes nous fait aujourd'hui frémir, mais un portrait terriblement moderne et audacieux pour son époque de publication.
Une lecture qui s'inscrit dans le cadre du du challenge "Un classique par mois" de Pr. Platypus.
Texte © Miss Alfie 2017.
Couverture : La Recluse de Wildfell Hall, Anne Brontë, traduit de l'anglais par Georges Charbonnier et André Frédérique, éditions Libretto, 2016, 560 pages.