La peur - Stefan Zweig
Irène est mariée, mère de deux enfants, et a un amant. Mais lorsqu'une femme l'aborde alors qu'elle rentre chez elle après l'une de ses aventures, Irène va basculer dans l'effroi : entre peur de la découverte de son secret et peur de cette femme qui semble si bien la connaître, Irène s'enfonce.
En 1920, Stefan Zweig publie une première version de cette nouvelle qui fait partie des plus connue car elle donna son nom à un recueil publié en France en 1935. Cependant, pour ceux qui auraient lu ce recueil, sachez que la nouvelle que j'ai eu la chance de lire était un peu plus longue que celle qui fut traduite à l'origine en français. En effet, en 1925, le nouvel éditeur de Zweig lui demanda de réduire son texte, et cette version "tronquée" fut celle publiée en France jusqu'en 1991. Dans le recueil que je prends le temps de découvrir, la traduction intégrale de la nouvelle distingue ces passages tronqués par des crochets, permettant au lecteur de se rendre compte des différences entre les deux textes.
Et, pour le coup, je pense que la version que j'ai lu offre une intensité bien plus forte que la version courte. Peu à peu, Zweig fait monter l'angoisse, crée un sentiment d'oppression chez Irène qui se transfère chez son lecteur. Il déroule un lien avec la justice, qui renvoie au mari d'Irène, de plus en plus fort au fil des pages pour s'acheminer vers une chute réelle et brillante. Cette chute m'a rappelé un cours de français en sixième sur la construction d'une nouvelle, et j'ai eu la sensation d'avoir un modèle en la matière sous les yeux !
Au-delà de cette construction très pertinente, Zweig se confirme comme un auteur que j'apprécie beaucoup pour la justesse avec laquelle il sait décrire les sentiments, notamment amoureux, mais aussi les émotions les plus intenses qui peuvent transporter l'être humain.
"Mais ensuite, quand elle s'apprêtait à renter chez elle, c'était un frisson différent, une mystérieuse terreur, confusément liée cette fois à l'horreur de la faute commise et à cette illusion absurde que, dans la rue, chaque regard étranger pouvait, en la regardant, deviner d'où elle venait, et adresser un sourire insolent à son désarroi." (p. 141)
"Ce qu'elle achetait, ce n'était que du temps, une pause pour souffler, deux ou trois jours de repos, une semaine peut-être, mais du temps affreusement dévalorisé, plein de tourments et d'inquiétude." (p. 172)
"La peur est pire que le châtiment, parce qu'il est toujours déterminé, qu'elle que soit sa gravité, et préférable à l'affreuse attente indéterminée qui se prolonge à l'infini, horriblement." (p. 175)
Une lecture qui s'inscrit dans le cadre du challenge "Sur les traces de Stefan Zweig" et du challenge "Un classique par mois" de Pr. Platypus.
Texte © Miss Alfie 2016.
Couverture : Romans et nouvelles, tome I, Stefan Zweig, édition établie, présentée et annotée par Brigitte Vergne-Cain et Gérard Rudent, Éditions Le livre de poche, collection La pochotèque, 2001, 1191 pages (La peur, traduit par Marie-Dominique Montfieyre, pages 135 à 195).