La Peine du Menuisier - Marie Le Gall
Marie-Yvonne naît en 1955 dans une famille brestoise. Tous les étés, sa mère, sa grand-mère et sa soeur aînée prennent leurs quartiers au Penn-Ti. Le week-end, le père, le Menuisier, les rejoint. C'est une relation père-fille empreinte de silence que nous raconte l'héroïne de ce roman.
J'avais rencontré Marie Le Gall aux Mots Doubs en 2010, c'est vous dire depuis combien de temps ce bouquin prenait racine dans ma PAL. Mais pour autant, je n'arrivais pas à l'en déloger, ni pour le lire, ni pour l'abandonner... Une histoire de secret de famille, de relation père-fille, le tout sur fond de culture bretonne, ça m'intriguait et ça me faisait aussi un peu peur. Et puis, à l'aube d'un dimanche serein et paisible, alors que le parfum des crêpes et la saveurs du sel marin sur les lèvres commençaient un peu à me manquer, j'ai sauté le pas et me suis plongée dans ce roman en partie autobiographique.
J'avoue que cela faisait longtemps que je n'avais pas utilisé mes petits post-it pour marquer des pages, relever des citations. Pourtant, j'avoue que La Peine du Menuisier aura été riche en la matière. J'y ai retrouvé une Bretagne décrite dans les souvenirs de mes parents et de mes grands-parents et, dans une certain mesure, une Bretagne que j'ai moi aussi connu... Une Bretagne dans laquelle le pâté Hénaff est aussi institutionnel que la place du recteur dans la paroisse... Une Bretagne marquée par l'après-guerre, la reconstruction des villes comme Brest ou Lorient après les bombardements... Une Bretagne dans laquelle on n'apprend plus le breton aux enfants parce que l'école de la République l'a interdit mais dans laquelle on continue de le parler entre-soi, entre adultes, pour que les enfants ne comprennent pas... J'ai aimé ce récit d'une époque plus ou moins révolue, de ces traditions qui parfois perdurent, de ces mots bretons insérés dans le texte qui m'ont, le temps de quelques centaines de pages, transportées dans la lande bretonne.
Mais ce roman n'est pas uniquement l'histoire d'une petite fille dans la Bretagne de l'après-guerre. C'est aussi l'histoire d'une famille qui voit arriver un enfant dix-neuf ans après la naissance de l'aînée, "pas comme tout le monde" comme on disait à l'époque, d'un père qui a l'âge d'être grand-père et ne saura jamais entamer un dialogue avec son enfant. Il faudra attendre le décès de ce père qu'elle nomme par son métier pour que Marie-Yvonne, devenue adulte et mère, découvre l'histoire de sa famille, et comprenne l'omniprésence de la mort dans son entourage. Car c'est une histoire sombre et noire que nous livre Marie Le Gall, une histoire dans laquelle on prénomme les nouveaux nés en référence à la soeur morte en bas âge, une histoire dans laquelle les morts hantent les murs de la maison familiale, plus bruyants parfois que les vivants silencieux.
Avec ce récit en partie autobiographique, Marie Le Gall nous offre la vision d'une région marquée par ses traditions. Elle y rappelle le poids de la langue et de la culture, le poids de ces mots qui ne seront jamais prononcés et que le Menuisier portera au fond de lui comme un fardeau toute sa vie durant.
Une très belle histoire, sombre, mais qui rappelle combien les secrets de famille peuvent être dévastateurs.
Texte © Miss Alfie 2012.
Édition présentée : La Peine du Menuisier, Marie Le Gall, Éditions Livre de poche, 2011, 320 pages.