La servante écarlate - Margaret Atwood
Dans un futur pas si lointain, la natalité a baissé au point que des escadrons de femmes sont tenues de la faire remonter. Dans cette société où les femmes occupent chacune une place, les Servantes naviguent de maisons en maison pour repeupler Gilead.
La récente sortie de la série The handmade's tale en Amérique du Nord et ses échos favorables m'ont incités à découvrir cette uchronie, bien que ce genre ne fasse pas partie de mes favoris. Mais il faut reconnaître que ce roman publié au milieu des années 1980 fait preuve d'une modernité quelque peu effrayante.
A la suite d'un coup d'état, l'organisation sociale est totalement refondue. Des castes sont créées, on doit appartenir à l'une ou à l'autre et porter un uniforme de la couleur de référence de la dite caste : bleu pour les Epouses, vert pour les domestiques baptisées Martha et rouge écarlate pour les Servantes. Un uniforme, des règles de vie très strictes, des laissez-passer pour se déplacer, la suppression de la lecture, activité subversive par excellence, autant de codes qui renvoient bien sûr à des sociétés autocratiques et dictatoriales.
"A l'extérieur du magasin il y a une énorme enseigne de bois en forme de lys ; il s'appelle le Lys des Champs. On peut voir l'endroit, sous le lys, où l'inscription a été badigeonnée de peinture, quand ils ont décidé que même le nom des magasins constituait une trop grande tentation pour nous. Maintenant ils ne sont marqués que par leurs enseignes." (p. 27)
"Mais tout autour des murs il y a des rayonnages. Ils sont bourrés de livres. Des livres et des livres et encore des livres, bien en vue, pas de serrures, pas de caisses. Rien d'étonnant que nous n'ayons pas le droit de venir ici. C'est une oasis de l'interdit." (p. 133)
"De temps en temps nous changeons d'itinéraire ; rien ne l'interdit, pourvu que nous restions à l'intérieur des barrières. Un rat dans un labyrinthe est libre d'aller où il veut, à condition qu'il reste dans le labyrinthe." (p. 158)
A Gilead, tout est cadré. L'argent n'existe plus, remplacé par des tickets, et le corps des femmes n'est vu que par le prisme de la fécondité. La lutte pour disposer de son corps est devenu l'une des raisons du déclin démographique, avec des catastrophes écologiques : plus question de pilule ou d'avortement. Il faut procréer, et des enfants sains, tant qu'à faire. Procréer, mais sans amour évidemment, en cachant ses émotions et ses sentiments, rendus coupables du déclin de la société. Les couples sont donc mariés de manière arrangés, et l'acte sexuel mis en scène pour ne lui conférer qu'une vertu reproductrice.
"Notre fonction est la reproduction ; nous ne sommes pas des concubines, des geishas, ni des courtisanes. Au contraire : tout a été fait pour nous éliminer de ces catégories. Rien en nous ne doit séduire, aucune latitude n'est autorisée pour que fleurissent des désirs secrets, nulle faveur particulière ne doit être extorquée par des cajoleries, ni de part ni d'autre ; l'amour ne doit trouver aucune prise. Nous sommes des utérus à deux pattes, un point c'est tout : vases sacrés, calices ambulants." (p. 132)
Autant dire que tout signe d'affection apparaît dès lors comme suspect, comme risque de trahison. Car, comme dans toute société trop cadré, collaborateurs du régime et résistants font leur place. Alors la narratrice se réfugie dans ses souvenirs, souvenirs d'un monde proche du nôtre, d'un monde qui s'effondra sans que ses habitant ne bougent le plus petit doigts, persuadés que tout cela arrivait pour leur bien...
"Raconter, plutôt qu'écrire, parce que je n'ai pas de quoi écrire et que de toute façon il est interdit d'écrire, mais si c'est une histoire, même dans ma tête, il faut que je la raconte à quelqu'un. On ne se raconte pas une histoire à soi-même. Il y a toujours un autre. Même quand il n'y a personne." (p.41)
"Je suis une réfugiée du passé, et comme les autres réfugiés, je passe en revue les coutumes et les façons d'être que j'ai quittées ou que j'ai été forcée de laisser derrière moi, et tout semble tout aussi bizarre, vu d'ici, et j'en reste tout autant obsédée." (p. 216)
En résumé, voilà un roman effrayant et fascinant, passionnant. On ressort de ces pages avec la volonté de préserver et de conserver une liberté durement acquise et qui paraît finalement très fragile, la liberté de disposer de nos corps, et surtout de nos esprits.
Texte © Miss Alfie 2017.
Couverture : La servante écarlate, Margaret Atwood, traduit de l'anglais (canada) par Sylviane Larue, éditions Robert Laffond, collection Pavillons poches, 2015, 546 pages.