Le rapport de Brodeck - Manu Larcenet, d'après Philippe Claudel
Alors qu'il arrive à l'auberge pour cherche du beurre, un drame vient d'avoir lieu et Brodeck est pris à parti par les hommes du village : il doit raconter l'histoire de l'Anderer. Comment ils en sont arrivés là. Habitué à rédiger des rapport sur la faune et la flore, Brodeck se voit contraint de prendre la plume pour un tout autre récit.
Autant l'avouer tout de suite : concernant ce diptyque, je ne pouvais pas être objective. C'était impossible. Il faut dire que le roman de Philippe Claudel est probablement LE LIVRE qui a marqué l'entrée dans ma vie actuelle de lectrice. Avec Le rapport de Brodeck, j'ai vécu il y a maintenant près de dix ans l'une de mes plus grandes claques de lecture.
J'avoue encore : si je savais que je ne serai pas objective, je craignais aussi de voir mis en image la violence du roman. Car la distance que Claudel instaure dans son roman a largement contribué à la place que ce roman occupe aujourd'hui dans mon panthéon. Comment Manu Larcenet allait-il raconter cet homme ? Comment mettre en images les mots de Claudel ? C'est l'exercice périlleux que réussi admirablement bien Manu Larcenet. A coup de litres d'encre de Chine, Manu Larcenet nous livre un dessin en noir et blanc, sans concession, aussi dur et violent que les mots de Claudel. Aussi précis et universel que le roman. Mais avec en plus une plume superbe, qui offre au lecteur des paysages de montagne, des portraits d'animaux tout aussi puissants que ceux des êtres que Larcenet imagine.
Sans concession pour les hommes, Le rapport de Brodeck, qu'il s'agisse de la version originale de Claudel ou celle adaptée de Larcenet, nous met face aux pires horreurs dont les êtres humains sont capables. Car même réduits à leurs instincts primitifs, les humains n'en restent pas moins des humains, confrontés à leurs peurs les plus profondes, à la peur de la mort mais aussi à la peur de l'autre...
A lire et relire à la veille de ces élections qui pourraient être un tournant dans l'Histoire de la France...
"Les hommes sont plus pervers que les pires bêtes sauvages...
Ils commettent le pire si facilement puis ils sont incapables de vivre avec la vérité de leurs actes ! Leurs souvenirs, Brodeck, ceux cachés tout au fond, bien au chaud, ils ne mentent pas. Alors ils viennent me voir parce qu'ils pensent que je peux les soulager et il me parlent...
Ils me disent tout. Je suis celui dans le cerveau duquel ils déversent toutes leurs sanies, leurs ordures, pour s'alléger...
Puis ils repartent tout propres, prêts à recommencer à la première occasion." (tome 1, p. 143)
Texte © Miss Alfie, 2017.
Couvertures : Le rapport de Brodeck, tome 1 : L'autre, Manu Larcenet, d'après Philippe Claudel, éditions Dargaud, 2015, 160 pages ; Le rapport de Brodeck, tome 2 : L'indicible, Manu Larcenet, d'après Philippe Claudel, éditions Dargaud, 2016, 168 pages.