Magellan - Stefan Zweig
En 1519, le navigateur portugais Fernand de Magellan prend la tête d'une flotte de cinq navires battant pavillon espagnol. Son objectif : trouver la route qui mène aux îles des épices, mais par l'ouest et non par la route habituelle de l'est. Premier à démontrer que la terre est ronde, Magellan mourra en 1521 et la flotte sera ramenée à bon port par son second, Elcano.
Oui, j'ai tout spoilé l'histoire de Magellan dans les quelques lignes de présentation, mais en même temps, l'histoire de Magellan, on en a déjà parlé sur ce blog ! Ayant choisi le Portugal comme destination estivale, j'ai eu envie de me plonger dans cette biographie de Zweig consacrée à un Portugais certes, mais qui, tout comme Zweig d'ailleurs, s'exila et en profita pour se mettre au service du royaume d'Espagne. Il faut dire que le projet que le gaillard présenta au roi du Portugal avait de quoi laisser dubitatif : il existerait une route menant aux îles des épices et qui passerait par l'ouest, la fameuse route en quelque sorte que Christophe Colomb pensait avoir découvert quand il débarqua en Amérique. Or, la route des épices avait alors un enjeu majeur : les épices valait littéralement de l'or à l'époque, et le chemin par la terre était semé d'embuches et largement contrôlé par les musulmans.
"Cette situation incite de plus en plus vivement l'occident à se soustraire à l’onéreux et humiliant contrôle, et un beau jour les énergies se groupent. Une croisade est décidée. Les croisades ne sont pas simplement (comme des esprits romantiques les ont souvent dépeintes) une tentative mystico-religieuse en vue d'arracher les lieux saints aux infidèles ; cette première coalition européo-chrétienne représente aussi le premier effort logique et conscient ayant pour but de briser la barrière qui ferme l'accès de la mer Rouge et d'ouvrir les marchés orientaux à l'Europe, à la Chrétienté." (p. 13)
Pourquoi, comment Magellan réussit à monter son expédition, je vais vous le laisser découvrir en lisant cette biographique rédigée par Zweig et dont l'idée lui est venue lors de son premier voyage en Amérique du sud en 1936. On peut d'ailleurs remercier le chroniqueur Antonio Pigafetta qui s'embarqua dans l'aventure et grâce à qui nous avons aujourd'hui connaissance de l'exploit de Magellan grâce au journal qu'il tint. En effet, si Magellan fut le premier à découvrir le passage qui porte aujourd'hui son nom, il tomba dans l'oubli plusieurs centaines d'années durant, toute la gloire de ce premier tour du monde revenant à celui qui lui survécu, son second et adversaire, l'espagnol Elcano.
"C'est vraiment par euphémisme qu'on appelle cette route un "détroit". En réalité c'est un carrefour ininterrompu, un labyrinthe de baies, de fjords et de canaux qu'on ne peut traverser qu'au prix des plus grandes difficultés et en faisant appel à tout l'art du navigateur." (p. 132)
Pourtant, et le livre de Zweig le met très bien en avant, Magellan réussit un exploit pour l'époque, une découverte qui venait confirmer ce que plusieurs savants avaient imaginé, parfois au prix de leur vie : la terre était ronde et il était possible de faire le tour du monde en passant d'une mer à l'autre.
"Pour la première fois, un homme est revenu à son point de départ après avoir fait le tour du monde. Peu importe qu'il s'agisse d'un esclave insignifiant ! Ce n'est pas dans l'individu mais dans son destin que réside ici la grandeur. Car cet esclave malais, dont nous ne connaissons que le nom de baptême, Henrique, qu'on a enlevé de son île et traîné en Europe, à Lisbonne, en passant par l'Inde et l'Afrique, qui a regagné par le Brésil et la Patagonie la sphère où l'on parle sa langue, est le premier, parmi les myriades d'hommes qui aient jamais peuplé la terre, qui en ait fait le tour. [...] Ce que les savants supposaient depuis des milliers d'années est devenu, grâce au courage d'un individu, une certitude. La terre est ronde, et voici un homme qui vient d'en faire l'expérience." (p. 150)
Bien évidemment, même si les documents d'époque sont rares, même si les données sur le personnage en lui-même sont rares, Zweig tente de brosser le portrait d'un homme indéfinissable, dur, secret, volontaire jusqu'à la mort, mais totalement humain en réalité. En témoignent son comportement avec les indigènes qu'il rencontra au cours de son périple, mais aussi le contenu de son testament qui ne fut hélas jamais respecté.
"L'habileté et la souplesse ne furent jamais le fait de Magellan. Si peu que nous le connaissions, il demeure certain que ce petit home effacé et taciturne ne possédait à aucun degré l'art de se faire aimer des grands ni de ses inférieurs." (p. 44)
"Agir hardiment chez lui ne signifie pas du tout agir d'une façon impulsive, précipitée, mais au contraire entreprendre quelque chose d'extrêmement dangereux avec le maximum de calcul et de prudence." (p. 118)
"Rien ne confère plus à la figure de Magellan une supériorité morale sur tous les autres conquérants de son siècle que cette volonté d'humanité. C'était une nature rude. Il faisait régner une discipline de fer dans sa flotte et son attitude en face de la mutinerie a montré qu'il ne connaissait ni indulgence ni retenue. Mais s'il a été dur, il faut cependant lui rendre cette justice qu'il n'a jamais été cruel." (p. 157)
Bien plus que la biographie d'un homme, c'est le récit d'une aventure, d'une découverte qui m'a paru fantastique. A l'heure où quelques heures suffisent pour se rendre aux antipodes du globe, se souvenir du prix payé par ceux qui firent les premières découvertes a de quoi filer quelques frissons. Un récit passionnant !
Une lecture qui s'inscrit dans le cadre du challenge "Sur les traces de Stefan Zweig", du challenge "Un classique par mois" de Pr. Platypus et du challenge Destination PAL 2016 de Lili Galipette.
Texte © Miss Alfie 2016.
Couverture : Magellan, Stefan Zweig, traduit de l'allemand (Autriche) par Alzir Hella, 2012, 288 pages.