La petite femelleEn mars 1951, Pauline Dubuisson tue son ancien amant, Félix Bailly. Quelques mois plus tard, elle est condamnée aux travaux forcés à perpétuité. Qui était réellement cette femme ? Une hyène hystérique ou une passionnée perdue ?

J'ai eu la chance de rencontrer Philippe Jaenada, l'auteur de ce brillant travail de recherche et de réhabilitation, aux Mots Doubs 2015. Comme je le disais pour le roman de Stéphanie Hochet, rencontrer un auteur, discuter de son travail, c'est donner au livre que l'on va lire une autre dimension. Toute autre même dans le cas de Philippe Jaenada puisqu'il n'hésite pas à faire de nombreuses digressions au fil de son récit qui ont pris la tonalité de sa voix !

Avec ce livre entre le récit et la biographie, Philippe Jaenada s'intéresse à une femme qui défraya la chronique dans les années cinquante, que la justice et les journalistes ont eu vite fait de cataloguer, et qui échappa à la peine de mort uniquement grâce à la présence d'une unique femme dans son jury d'assises. Pauline Dubuisson eu droit à bien des qualificatifs, qui servent d'ailleurs de titres à chacun des chapitres de sa vie, mais cette quasi-unanimité pour en faire un personnage noir, maléfique, outrageant a interpellé l'auteur.

De Rennes à Haguenau en passant par Dunkerque et Lille, Philippe Jaenada pose ses pas dans ceux d'une jeune femme à l'histoire complexe. Il revient sur son enfance, ses parents, sur les actes posés, contraints ou convaincus, qui marqueront à jamais le destin d'une femme qui rêvait de liberté, d'indépendance, de féminisme, à une époque où son seul avenir social semblait résider dans le mariage. Mais Pauline, le mariage, elle n'en veut pas. Elle veut être médecin, elle est brillante, lit beaucoup, séduit les hommes. Autant de qualités qui ne sont à l'époque que des défauts, et s'ajouteront aux charges objectives lors de son procès.

Avec cet ouvrage, Philippe Jaenada ne remet pas en cause sa culpabilité, loin de là. Il essaye juste de se faire l'avocat d'une femme qu'on a jeté en pâture à la presse. Il n'hésite pas à tâcler ses confrères et consoeurs écrivains et journalistes tombés dans la facilité du sensationnel. Il soulève des lièvres du chapeau, sort des lapins du placard, déniche des baleines sous des canapés et démontre à quelle vitesse l'émotion l'a emporté, y compris chez les magistrats qui n'ont eu de cesse d'enfoncer la jeune femme un peu trop têtue à leur goût.

Malgré quelques longueurs (notamment lors du procès, Philippe Jaenada ayant déjà évoqué de nombreux points dans la première moitié de son récit), l'ensemble se lit comme un roman policier dont on connaît pourtant la fin tragique. Néanmoins, on espère que Pauline s'en sortira, qu'un coup de théâtre viendra adoucir sa peine, qu'elle pourra enfin vivre apaisée malgré cette tragédie qui la hantera. Et puis on s'attache à l'auteur, à qui il arrive mille péripéties au cours de son travail, qui n'hésite pas à donner son avis au sein de multiples parenthèses, et à Lucette, la copine du café du quartier... Ouvrage atypique, fascinant, La petite femelle rappelle combien notre société peut influencer la justice. Alors, indépendante, vraiment ?...

Texte © Miss Alfie 2016.
Couverture : La petite femelle, Philippe Jaenada, Editions Julliard, 2015, 720 pages.