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Miss Alfie, croqueuse de livres... & Compagnie !
14 novembre 2014

L'écriture ou la vie - Jorge Semprun

ecriture vieAvril 1045. Lorsque que le camp de Buchenwald est libéré, Jorge Semprun a vingt-et-un ans. Il y aura passé une année de sa vie. Une année qui l'aura fortement marqué, une année pour tout le reste d'une vie.

Jorge Semprun tout comme Primo Levi sont des auteurs qui me semblent désormais incontournables quand il s'agit d'évoquer des témoignages autour des camps de concentration.

Dans L'écriture ou la vie, Jorge Semprun part d'évènements relatifs à son emprisonnement à Buchenwald et à la libération du camp, et déroule à partir de là l'histoire de sa vie. D'avant et d'après. Espagnol, il a fuit son pays en compagnie de ses parents pour trouver refuge en France. Étudiant en philosophie, il raconte ses rencontres avec les intellectuels de l'époque, les discussions dans le camps et la bibliothèque.

Peu à peu, au fil de ma lecture, j'ai compris le titre. J'ai compris que ce récit, cette expérience, Jorge Semprun n'a pu l'écrire qu'après un long processus qui m'a fait pensé à la résilience. Tant qu'il revivait intensément ce qu'il avait vécu là-bas, seule la mort pouvait ressortir dans son écrit.

"Le malheur qui m'étreignait ne provenait d'aucun sentiment de culpabilité. Certes, il n'y avait pas de mérite à avoir survécu. A être indemne, en apparence du moins. Les vivants n'étaient pas différents des morts par un mérite quelconque. Aucun d'entre nous ne méritait de vivre. De mourir non plus. Il n'y avait pas de mérite à être vivant. Il n'y en aurait pas eu non plus à être mort." (p. 184)

Jorge Semprun s'éloigne progressivement donc de son expérience des camps pour nous plonger dans l'expérience de l'écriture. Car ce récit est multiple et aborde diverses thématiques : la notion de patrie et de "ra-patriement", l'expérience des camps évidemment, la philosophie et la poésie, l'amour...

"Un amour à mort se déploie, nourri de sa seule substance désincarnée, de sa violence autiste, où le visage de l'Aimée (son expression, son regard, ses battements de cils, le pli soudain de sa bouche, l'ombre légère d'un chagrin, la lumière d'un plaisir qui affleure) ne joue aucun rôle, ne compte pour rien. Un amour dont la violence stérile se fonde sur le seul souvenir d'un corps en mouvement, image sans doute obscurément travaillée par l'interdit de représentation de la loi hébraïque, transcendée par l'arrogance d'une volonté abstraite de séduction, de possession spirituelle." (p. 327)

Le tout est servi par une plume que j'ose qualifier de magnifique. Semprun témoigne de son talent littéraire. S'il utilise la répétition, c'est pour bien faire entendre au lecteur combien tel événement ou telle réflexion l'a puissamment marqué. L'ensemble est sobre et lyrique en même temps. Majestueux et poétique. Émouvant et réservé.

"Cette fumée-ci, pourtant, ils ne savent pas. Et ils ne sauront jamais vraiment. Ni ceux-ci, ce jour-là. Ni tous les autres, depuis. Il ne sauront jamais, il en peuvent pas imaginer, quelles que soient leurs bonnes intentions." (p. 22)

Peut-être ai-je fait l'erreur de débuter par cet ouvrage de Jorge Semprun dans lequel il évoque à plusieurs reprises d'autres écrits, notamment Le grand voyage évoqué à de nombreuses reprises, mais je n'ai au final conservé aucune frustration de ne pas saisir l'ensemble des références qu'il évoquait. Je sais désormais que je poursuivrai ma lecture de ce grand écrivain et conserve de cette première rencontre un sentiment de puissance littéraire rare.

Ce qu'on en dit ailleurs :

  • Ars legendi : "La grande originalité de ce roman est qu'il ne s'attarde pas tant sur l'horreur des camps que sur la difficulté (l'impossibilité ?) de vivre lorsqu'on en est rescapé."
  • Colimasson : "L’écriture ou la vie bouleversera tout lecteur qui a pu connaître –de près ou de loin- cette sensation de décalage irréversible provoquée par l’expérience de la solitude mortelle."

Texte © Miss Alfie 2014.
Édition présentée : L'écriture ou la vie, Jorge Semprun, Editions Gallimard, collection Folio, 1996, 397 pages.

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Commentaires
A
Une lecture forte qui m'avait marquée.
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S
J'avais lu Si c'est un homme de Primo Lévi, ce n'etait pas une lecture facile. Je suppose que celui-là aussi...mais il doit être extrêmement intéressant...
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L
J'en ai lu beaucoup d'extraits, mais je n'ai jamais eu le courage de m'y plonger totalement...
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