Dans les années 1980, alors qu'il vieillit, le père d'Art Spiegelman accepte enfin de lui raconter la guerre, sa guerre, de la montée du nazisme à la libération en passant par les camps de concentration.
J'ai eu l'air bien bête quand, feuilletant il y a quelques semaines le magazine Lire, j'ai lu qu'Art Spiegelman avait été distingué cette année par le Grand prix du festival d'Angoulême. Art Spiegelman ? Connais pas moi ! Pourtant, monsieur a une bibliothèque de BD relativement intéressante, et n'hésite pas à me conseiller des titres qui pourraient me plaire. Là où je me suis dit qu'il était peut-être temps que je me renseigne, c'est lorsque j'ai découvert que le dit Art Spiegelman avait déjà remporté l'Alph-art de l'album étranger à Angoulême en 1993, mais surtout qu'il avait remporté le prix Pullitzer en 1992 avec Maus... Une BD courronée de l'équivalent américain du Goncourt, surprenant ! Mais une fois que l'on s'est plongé dans cette histoire, tout devient limpide...
Dans Maus, Art Spiegelman relate l'histoire de sa propre famille. Avant de devenir une intégrale de près de 300 pages, Maus a d'abord été publié entre 1981 et 1991 dans Raw, revue américaine de bande dessinée créée par Art Spiegelman et son épouse, Françoise Mouly, puis en format BD en deux volumes, Mon père saigne l'histoire et Et c'est là que mes ennuis ont commencé. Au fil des pages et des vignettes en noir et blanc, Art Spiegelman se met en scène face à son père qui lui raconte sa propre histoire, sa rencontre avec la mère d'Art qui se suicidera plusieurs années plus tard, la montée du nazisme... C'est à la fois le récit de l'histoire familiale, et le récit d'un lien père-fils, quand le père vieillit et sait que désormais, seul son fils pourra raconter le passé, que les générations s'entrechoquent et confrontent leurs visions de la vie. Mais c'est aussi l'histoire d'un fils qui s'est mis en tête d'écrire l'histoire de son père, et qui porte cette histoire, à la fois familiale et universelle, sur ses épaules.
L'histoire du père commence en 1936 en Pologne, lorsqu'il rencontre Anja, la mère d'Art Spiegelman. Il ne nous raconte pas que la guerre, que les camps de concentration. Il raconte la montée du nazisme, la crainte grandissante chez les juifs qui voient les persécutions croître un peu partout, que ce soit en Pologne ou dans les pays voisins. C'est toute la guerre qui nous est racontée par Art Spiegelman, tout le quotidien des Juifs qui sentent la menace grandir, qui voient leurs semblables se faire rafler, qui tentent de se cacher, de trouver des solutions pour ne pas partir dans ces endroits mystérieux d'où personne ne semble revenir.
Graphiquement, l'oeil s'habitue rapidement au trait noir et blanc de Spiegelman. Les personnages sont représentés par des animaux, qui eux-mêmes représentent différents groupes nationaux, notamment en référence à la propagande nazie qui représentait les polonais comme des porcs et les juifs comme des souris, si j'en crois les infos glanées ici et là. Graphiquement, peu de choses différencient les personnages d'un même groupe. On se repère par les dialogues, l'image ne raconte pas à elle seule l'histoire comme ce peut être le cas dans d'autres BD, l'image vient servir le récit.
Maus est une bande dessinée qui se lit doucement, avec laquelle il faut prendre son temps, la laisser reposer puis la reprendre, ce sont près de 300 pages qui racontent, une fois encore, la barbarie humaine, pour que l'Homme n'oublie pas, pour que l'Homme ne renouvelle pas.
A lire aussi :
Zarline en garde un bon souvenir bien qu'il lui ait manqué un petit quelque chose pour en faire un coup de coeur : "J'ai aimé la sincérité de cet album qui montre également la relation difficile d'Art avec son père vieillissant. Loin de toute idéalisation, Art Spiegelman dépeint la vie de son père après la guerre, passé du statut de victime à celui de "bourreau domestique"."
Chez Mango aussi, c'est la satisfaction de cette découverte littéraire qui domine : "Je ne désire pas résumer l’histoire mais seulement évoquer le plaisir que j’ai eu à suivre ces petits dessins en noir et blanc, serrés sur chaque page dans des cases où le texte écrase les personnages qui sont des animaux en réalité, ce que j’ai vite oublié d’ailleurs."
Glo souligne que "Maus n'est pas qu'un énième témoignage sur la Shoah. C'est aussi le témoignage de la génération suivante."
Vous trouverez bien d'autres articles sur le net consacré à ce diptyque que je ne peux que vous encourager à découvrir...
Texte © Miss Alfie 2011.
Edition lue : Maus, L'intégrale, Art Spiegelman, éditions Flammarion, 1998, 296 pages.